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Interview de Heidi Sevestre




Bonjour Heidi, pouvez-vous vous présenter ?

Je suis originaire d’Annecy. J’ai passé toute mon enfance en Haute-Savoie à crapahuter dans les montagnes. J’ai fait mon doctorat dans l’université la plus au nord du monde à Svalbard, en Norvège pour devenir glaciologue. Je suis ensuite devenue vulgarisatrice ou communicante scientifique pour des chaînes TV et des ONG internationales. Je travaille à l’AMAP - The Arctic Monitoring and Assessment Programme (le programme de surveillance et d’évaluation de l’Arctique). Nous coordonnons la science sur le dérèglement climatique au niveau de cette région. Nous sommes un intermédiaire entre la communauté scientifique et les gouvernements.



Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

J’essaie de rendre cette science accessible au plus grand nombre et notamment auprès du grand public. On m’a offert l’extraordinaire chance de participer à une série de documentaires pour National Géographic, de partir en tournage au Groenland en compagnie des meilleurs grimpeurs de la planète, Alex Honnold et Hazel Findlay, une équipe incroyable. C’est un moyen comme un autre de rendre notre science encore plus accessible et compréhensible dans le but de pousser les gens à passer à l’action. Ces trois documentaires sortiront pour le jour de la planète en avril 2023, sur Disney +.



Selon vos mots, « les glaciers sont l’épicentre du changement climatique ». Pouvez-vous nous expliquer ?

On constate que les régions qui ont de la neige et de la glace se réchauffent plus vite que d’autres. C’est physique. Lorsque sur Terre, ces grandes couvertures blanches se raccourcissent à cause du dérèglement climatique, elles laissent place à des zones beaucoup plus sombres telles que les roches ou l’océan. Or ces zones foncées absorbent le rayonnement solaire plus rapidement et participent à la fonte de ces régions de neige et de glaces. C’est une sorte de cercle vicieux qui se met en place. Ces régions glacières réagissent beaucoup plus rapidement au dérèglement climatique que d’autres et notre avenir en dépend. Dans mon travail de tous les jours en tant que glaciologue, j’essaie de rapprocher le grand public, les entreprises et les gouvernements des glaciers. Ils sont à la fois notre eau potable, l’eau qui irrigue nos cultures et celle qui maintient le débit des rivières l’été en période sèche. À titre d’exemple, sans les glaciers, on aurait 40 % de débit en moins. L’eau des glaciers sert aussi à refroidir les centrales nucléaires en France et à produire de l’hydroélectricité. Ils sont ultra importants et les maintenir en bonne santé influence notre génération et les générations futures.



Quels changements avez-vous pu observer durant vos dernières expéditions ?

Les changements sont cataclysmiques et bien malheureusement plus rapides que prévus. Les observations sur le terrain sont pires que les prévisions réalisées à partir de nos modèles mathématiques. Bien que performants, ils ont encore du mal à capturer la vitesse du changement actuel. Ce qui se passe actuellement dans les Alpes ? Du jamais vu ! Ce qui se passe actuellement au Groenland, au Svalbald ? Nos modèles n’avaient pas pu le prévoir. Notre travail consiste alors à alerter et préparer les populations et les gouvernements en prévision de ce qui nous attend, que ce soit en termes de quantité d’eau potable disponible ou d’augmentation du niveau d’eau des océans. Les changements de ces glaciers impactent des milliards de personnes sur Terre. On fait tout ce qui est dans notre possible pour préparer et alerter. Il faut continuer à améliorer nos prédictions pour récolter les meilleures données possibles sur le terrain.



Vous êtes intervenue auprès de nos délégués le 17 septembre dernier lors de la troisième session de délibération. Quel a été le sujet principal de votre intervention ?

J’ai axé mon message sur le fait qu’aujourd’hui, concernant les masses glacières sur Terre, nous sommes au plus près des seuils d’irréversibilité. On court vers des seuils de température au-delà desquels on déclenchera des phénomènes que l’on ne pourra plus arrêter par la suite. Pour n’en citer qu’un seul : la déstabilisation de la calotte du Groenland qui contient l’équivalent de 7 mètres d'augmentation du niveau des océans. Nous sommes face au mur ! Le point positif est que nous n’avons pas encore dépassé ces seuils. Mais l’urgence est là, il faut parvenir à suivre nos objectifs de réduction de gaz à effet de serre, qui sont ceux de l’Accord de Paris. Il n’y a que cette voie, celle de rester sous la barre du 1,5 degré qui nous permettra d’éviter le pire. Cela ne dépendra que de nous. Il n’y a pas d’autre court-circuit, ni autres solutions technologiques miraculeuses. S’il est très facile de rejeter la faute sur d’autres, nous sommes néanmoins en train de bâtir quelque chose de constructif.

On essaie tous de faire une différence avec les moyens que l’on a, et il n’y que de cette façon que l’on y arrivera.



Qu’attendez-vous d’une initiative comme le Grand Défi ?

J’en attends qu’elle soit enthousiasmante et énergisante. J’en attends aussi des solutions et de l’inspiration. Personne n’est parfait, c’est pour cela que nous avons besoin d'entraide. C'est dans cet esprit constructif que l’on arrivera à tacler ce dérèglement climatique !



Selon vous, quels peuvent-être les freins à la transition ?

Nous avons une vision à court terme alors que le dérèglement climatique commande une vision à long terme. Cette échelle de temps est vraiment compliquée à gérer.

Au vu de la situation économique, politique et géopolitique dans laquelle on se trouve, on a souvent tendance à se recentrer sur nous-mêmes et dans une vision à très court terme, de quelques semaines à quelques mois, tout au plus. Il faut repenser le temps long car les solutions que l’on va mettre en place dès aujourd’hui auront des impacts dans quelques décennies. C’est humain, face à un danger immédiat, d’essayer de prendre des décisions rapidement, mais elles peuvent se révéler contreproductives, voire désastreuses à court terme.



Si vous aviez une idée à retenir pour accélérer la transition de l’économie et des entreprises, quelle serait-elle ?

De continuer à s’éduquer sur ces sujets-là, de garder une belle ouverture d’esprit et ne pas hésiter à travailler main dans la main avec des scientifiques. Il y a une sorte de shift générationnel avec la science, on observe que les nouvelles générations de scientifiques sont vraiment ouvertes et prêtes à travailler avec le grand public, les gouvernements, les entreprises afin de rendre leur science accessible. Lorsque la science est comprise, il n’y a plus de frein à l’action. « Mais qu’est-ce que l’on peut faire ? Que doit-on mettre en place ? » voilà ce que j’entends quotidiennement. Cette base d’information et d’éducation est vitale. Une fois que l’on a compris l’ampleur du chantier qui est devant nous, on comprend aussi qu’il n’est pas trop tard.


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