Bonjour Stéphane, pouvez-vous vous présenter s’il vous plait ?
Je suis sociologue. J’ai réalisé une thèse sur la transformation de la dynamique sociétale à travers la technique. Je suis professeur, j’enseigne aux Arts Décoratifs et à l’ENSCI le design social ou relationnel. En parallèle, j’ai cofondé Eranos en 2005, un cabinet spécialisé dans la transformation sociétale. Il a pour vocation de resynchroniser les entreprises avec la société dans plusieurs domaines tels le luxe, l’industrie bancaire, le domaine militaire… Nous avons un bureau à Paris et un autre à Séoul. On essaie de résoudre avec nos clients des problèmes de société de manière vertueuse pour eux et pour la société. Beaucoup de nos clients s’engagent en tant que société à mission, on travaille également sur les questions d’utilité sociale et du sens du travail.
Lorsque les corps intermédiaires s’effritent, que la confiance envers les médias et les politiques chute, quelle est la place de l’entreprise aujourd’hui dans la société ?
Si je caricature, on ne se posait pas la question jusqu’à ce que certains collaborateurs il y a quelques mois se la posent de manière subite et un peu différente. Après les confinements, on a observé que beaucoup d’entre eux s’interrogeaient sur la question du sens de leur travail au sein de l’entreprise. Pourquoi investir autant d’énergie, voire même sacrifier son temps pour une entreprise ? Et qu’est-ce que cette énergie engendre pour moi, mon entourage, mon quartier ? La question de la place de l’entreprise dans la société, c’est d’essayer de questionner la nature même de son écosystème, c’est à dire la qualité relationnelle que l’entreprise entretient avec son environnement social et humain. De mon point de vue, la place de l’entreprise se joue avant tout sur ce critère. Elle se joue sur son impact et sur son influence sur la nature des relations entre les gens comme la convivialité, la considération, l’équilibre, la capacité des collaborateurs à trouver du sens dans leur travail et donc à être performants, mais également sur la qualité de vie des personnes qui sont sur le territoire et donc sont influencés par l’entreprise.
Quelles sont les grands bouleversements auxquelles elle doit faire face ?
Il y en a plein. C’est d’abord une prise de conscience sur les outils de pilotage de l’entreprise. Ils sont faux. Ils ne prennent pas en compte toutes les externalités. Les dirigeants doivent se rendre compte de la réalité de l’emprise de l’entreprise dans la société, pas uniquement sur la partie tangible de ce qui est épuisable mais sur les hommes et femmes qui s’épuisent tout autant. La survie même de l’entreprise, et donc de l’économie, va dépendre de sa capacité à transformer des nouveaux gisements de valeur et transformer l’emprise quelle a sur les anciens gisements.
Selon le dernier baromètre du C3D/Wavestone, 78% des entreprises interrogées disent avoir intégré la RSE à leur COMEX et 91% d'entre elles disent mettre le climat dans leurs priorités. Peut-on parler d’une prise de conscience accrue ou plutôt d’un effet de mode, voire de greenwashing ?
Je dirais les deux. Ce que l’on peut espérer avec le greenwashing, et un effet de mode, c’est une phase de communication. Je pense qu’il faut aussi en passer par là. On ne peut pas demander à une entreprise qui, pendant 300 ans, a vécu sur un ancien modèle, de basculer en moins de 10 ans sur un autre. C’est très difficile, il y a une inertie énorme. Or c’est avec et par les entreprises que se fera la transformation de la société. Je ne dis pas qu’il ne faut pas de contrainte, citoyenne, légale ou par les organisations. C’est un processus. Il y a d’abord un effet d’alarme puis il y a un déni qui se met en place. Mais nous sommes dans un mouvement intéressant. Certaines entreprises ont fait de cette prise de conscience le moteur même de leur gouvernance et de leur modèle économique. Elles cohabitent avec des entreprises qui n’y croient pas. Le mouvement des entreprises à mission est encore minoritaire mais il va se généraliser.
En avril dernier nous lancions une enquête dédiée à la transition écologique des entreprises, ouverte à tous dirigeants, salariés, investisseurs, administrateurs ou étudiants. Nous en dévoilons ces jours-ci les résultats. Selon vous, quels sont les principaux freins à cette transformation écologique des entreprises ?
C’est tout simplement le déni. La transition est une transformation mais on voit cette forme de résistance voire d’inertie dans d’autres formes de transition. Il y a l’archétype de la mort derrière cela. Les entreprises ont toujours été confrontées à l’inertie. Il y a de l’inertie car il y a de la peur. Et ce depuis toujours.
Et les leviers ?
Je dirais la peur, mais elle ne suffit pas car elle engendre le déni. Parmi les leviers, il y a l’innovation ascendance. Les solutions de transition des entreprises viendront de la base c’est-à-dire du client, de la somme des petits gestes venant des consommateurs, des collaborateurs, des sociétaires, des citoyens. Je crois beaucoup à une appropriation par la base. Cela n’empêche pas que les personnes, une fois convaincues, ont besoin de relai c’est-à-dire de leaders charismatiques, de « gourous » dans le côté caricatural du terme. Ces personnes sont les porte-parole de l’imaginaire social et c’est parce que l’imaginaire social est prêt pour une transition que les entreprises auront la main pour le faire.
Enfin, selon vous le Grand Défi sera réussi, si ... ?
Il est bien engagé. Il y a un projet, il y a de l’optimisme … On ne pilote pas par la peur, on pilote par le désir. Je pense que ça va marcher car il y a du désir, de l’engagement, du lien social, de la volonté, une espèce de vouloir vivre. La contrainte ne peut pas marcher toute seule, elle doit être accompagnée du désir.
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