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Nous sommes à la fois la source des risques… et des solutions !

Dernière mise à jour : 1 juin 2022



Jacques Fradin est consultant, docteur en Médecine, comportementaliste et cognitiviste (AFTCC). En 1987, il fonde puis dirige l’Institut de Médecine Environnementale. Il intervient en tant qu'expert ou consultant auprès des entreprises, d'associations professionnelles (dont l'APM) et d'institutions. Il est également chargé de cours et directeur pédagogique dans plusieurs D.U. Jacques Fradin est auteur et co-auteur d'articles et ouvrages, publications scientifiques et de vulgarisation, parmi lesquels : L’Intelligence du stress (Eyrolles, 2008), La Thérapie Neurocognitive et Comportementale, Prise en charge neurocomportementale des troubles psychologiques et psychiatriques (De Boeck, 2014). Depuis mars 2020, il est président de l’International Panel on Behavior Change (GIECo).



Le Grand Défi veut accélérer la transition des entreprises vers un modèle durable. Vous travaillez vous-même sur les processus de transition permettant de faciliter le changement. Pouvez-vous nous donner un exemple de transition globale réussi et ce qui a contribué à sa réussite ?


Sujet délicat car je ne connais pas personnellement de grandes organisations remplissant ces conditions de façon globale, notamment en matière de durabilité. Mais je serai tenté de citer quelques exemples, qui certes ne remplissent pas le cahier des charges en matière de durabilité, mais qui peuvent paraître remarquables à l’échelle planétaire en matière de prise en compte du Facteur Humain :

  • Après la bulle et le crash Internet de 1999 et 2000, le petit monde du numérique s’apprêtait à vivre une longue glaciation annoncée (pour plusieurs décennies), face à l’immaturité culturelle des marchés. Mais ceux qui allaient devenir les GAFAM ont su convaincre leurs investisseurs et prendre en main la compréhension et la résolution des facteurs de résistance au changement (FH) et inventer : le plug and play, le friendly, la gratuité d’accès via les algorithmes traceurs de nos centres d’intérêts (nos clics) comme sources de publicités ciblées… Ils ont ainsi mis en œuvre, en 10 ans, le tsunami numérique que l’on connait. Certes, nous en atteignons aujourd’hui quelques (graves) limites sociétales et environnementales mais qui ne sont pas toutes liées au système lui-même… mais aussi largement à certains biais de notre fonctionnement humain !

  • Nous pouvons également parler de l’aéronautique, notamment militaire avec lequel j’ai beaucoup travaillé, qui a inventé le REX ou « retour d’expérience ». En effet, puisque le Facteur Humain était impliqué dans une très large majorité d’accidents, certains chercheurs (R. Amalberti) en ont décrypté la mécanique et intégré les leçons via des procédures et procédures de procédures, ou via une ergonomie cognitive croissante des interfaces homme-machine (J.J. SPEYER), ce qui a fortement contribué à réduire le nombre d’accident (par trente en trente ans). Cette performance, qui intègre toujours mieux et plus subtilement facteurs techniques, organisationnels, réglementaires et Facteur Humain, en améliorant le fonctionnement de ce dernier tout en prenant en compte ses limites (sans les juger), a fait du « plus lourd que l’air » l’un des moyens de transports les plus sûrs, tous pays, aéroports et compagnies confondus ! Pas mal tout de même...


Pour réussir la transition, vous parlez souvent de l'importance du facteur humain. Est-ce que vous pouvez nous dire en quelques mots ?

La plupart des grands problèmes individuels et collectifs que nous rencontrons sont induits par nos propres comportements plus que par le monde non humain (maladies, catastrophes naturelles, prédateurs…). Nous sommes à la fois la source des risques… et des solutions. La description, la quantification et la prise en charge du Facteur Humain va donc bien au-delà de la prévention et de la gestion du risque humain.

Notre cerveau a été sélectionné par l’évolution des espèces, dans un environnement proche/proximal dans l’espace et le temps. Nos réflexes y sont donc adaptés…

À l’inverse, la société moderne, qu’a créé notre intelligence adaptative (mobilisant notamment notre cortex préfrontal), produit l’innovation et le changement permanents, la complexité, l’interdépendance à large échelle, etc.

Mais ce mode mental est moins spontané par défaut que l’autre. Par certains côtés, il s’apprend. C’est pourquoi la plupart des crises et des solutions du monde moderne nous semblent d’abord « contre-intuitives », dans leur survenue comme dans leurs solutions.

Clé de voûte de toutes les transitions à l’œuvre, le Facteur Humain au sens très large du terme intégrant des dizaines de disciplines doit aujourd’hui être considéré comme LE facteur clé de succès pour créer les conditions propices à l’émergence d’une société structurellement et spontanément plus : agile et inclusive, rationnelle et systémique, anticipatrice et créative… donc apaisée, désirable, équitable… donc intrinsèquement durable !



Vous œuvrez depuis 2018 à la création du GIECo. Pouvez-vous nous dire quelle est la vocation de cette organisation?

L’International Panel on Behavior Change (IPBC) est un groupement international réunissant actuellement plus de 1 000 signataires issus de 76 pays et de 35 disciplines des sciences du comportement, des plus fondamentales aux plus appliquées (biologie du comportement, éthologie, neurosciences, psychologie, anthropologie, sociologie, pédagogie, management, économie comportementale, etc.). Il a vocation à devenir une institution scientifique internationale de référence, avec une double mission :

  • Faire progresser la connaissance du Facteur Humain (objectif scientifique) : mieux développer, croiser, consolider et valoriser les connaissances fondamentales et appliquées sur les comportements individuels, sociaux et organisationnels.

  • Partager des préconisations opérationnelles (objectif sociétal) : à travers la production de mini-livrables très compacts et opérationnels, à destination des décideurs, acteurs et citoyens, dans une perspective d’accompagnement de toutes les transitions et intégrant tous les enjeux de court, moyen et long terme. Ces livrables seront co-produits par des équipes intégrant chercheurs et experts de terrain.

Pour atteindre ses objectifs, l’IPBC se structure en groupes de travail (scientifiques, acteurs de l’économie, institutionnels…) complémentaires impliquant toutes les parties prenantes.



Pourquoi avez-vous accepté de devenir partenaire du Grand Défi ?

Je partage tout d’abord pleinement les objectifs du Grand Défi, j’en apprécie tout autant l’ambition, la rigueur et l’éthique dans sa mise en œuvre. J’ai aussi acquis une grande confiance en Virginie Raisson-Victor, co-fondatrice de l'initiative, avec qui j’ai déjà travaillé sur un projet quelque peu comparable.

Par ailleurs, le Grand défi et le GIECo partagent une conviction clé : le monde économique a un rôle clé à jouer dans la transition climatique et environnementale mais aussi dans toutes les autres qui nous attendent, notamment sociale et culturelle…

Nous sommes par ailleurs très complémentaires, notre alliance ne peut donc que contribuer à l’atteinte de nos objectifs communs : une transition massive, rapide et réussie.



Pour vous, le Grand Défi sera une réussite si...


Le Grand Défi sera une réussite s’il arrive à convaincre les entrepreneurs que les transitions à venir sont des opportunités… Le monde économique a été jusqu’ici agile et a participé activement aux évolutions de notre société. Je ne peux imaginer qu’il ne le sera pas pour la transition durable, et des initiatives comme Le Grand Défi ont le bon format…

Ce sera pour moi un succès si :

· Les entreprises tirées au sort deviennent, comme les citoyens l’ont été, de acteurs créatifs et engagés !

· Et si elles savent entrainer/faire envie à celles qui n’y ont pas participer ! A nous de les aider à faire de cette expérience une vraie source d’impulsion…


Je crois tout cela accessible ou pour le moins très contributif.

A nous de faire que ce le soit !

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